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vendredi, avril 26, 2024
OPINION

GUERRE ECONOMIQUE EN AFRIQUE : FRANCE, RUSSIE, CHINE ET ETATS-UNIS SE BATTENT POUR UN MEILLEUR POSITIONNEMENT ECONOMIQUE SUR LES MARCHES AFRICAINS

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GUERRE ECONOMIQUE EN AFRIQUE : FRANCE, RUSSIE, CHINE ET ETATS-UNIS SE BATTENT POUR UN MEILLEUR POSITIONNEMENT ECONOMIQUE SUR LES MARCHES AFRICAINS

Après les tournées africaines des Français, des Russes et des Américains, les Chinois ont effacé des ardoises de la dette africaine. L’intensité attendue de la guerre économique que se livrent les puissances autour de l’Afrique se confirme, au gré de la conjoncture mondiale, face à des Africains qui s’affirment de plus en plus.

Il y a quelques semaines, le continent était le théâtre d’un balai des puissances. D’abord la France dont le président, Emmanuel Macron, s’est rendue fin juillet au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau. En perte de vitesse -au plan business face à la percée de la Chine et au plan influence face à la montée de la Russie, Paris -qui veut regagner des parts de marchés- promet des investissements. En toile de fond : la quête d’alliés face à la Russie, son principal rival de l’heure, que le locataire de l’Elysée n’a pas manqué d’attaquer. « Je crois que nous serions naïfs de ne pas nommer ce qui s’est développé ces dernières années, ce que j’appellerais une présence hybride de la Russie sur le continent africain. […] C’est très inquiétant parce que ce ne sont pas des coopérations classiques », a déclaré Macron à Yaoundé, ajoutant que les Russes jouent sur leur puissance militaire pour proposer de la sécurité aux dirigeants de « pays fragilisés » -comme la Centrafrique et le Mali- « en échange d’une influence russe et d’une captation des matières premières ».

Au même moment, les Russes sillonnaient le continent. Sur l’ordre de Vladimir Poutine, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est rendu en Egypte, au Congo Brazzaville, en Ouganda et en Ethiopie, des pays -excepté le deuxième- fortement dépendants des céréales russes et ukrainiens. Balayant du revers de la main la thèse occidentale selon laquelle son pays serait à l’origine de la crise alimentaire menaçant la planète, Lavrov en a plutôt tenu pour responsables les sanctions occidentales contre la Russie. Son pays étant un grand partenaire commercial de l’Afrique en matière d’armement et d’agriculture (céréales et engrais), l’envoyé du Kremlin s’est voulu rassurant quant aux solutions visant à garantir l’approvisionnement des marchés africains. A côté, on sait aussi que les Russes veulent monter en puissance dans le secteur minier africain, avec plusieurs contrats signés depuis 2019, année où Moscou a spectaculairement manifesté son intérêt pour le commerce avec les pays africains, accueillant des grandes messes sur son sol.

Même si le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a voulu éloigner la connotation de rivalité au sujet de sa visite du 7 au 12 août en Afrique du Sud, en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda, il n’est plus à démontrer que Washington entend sécuriser son sillon sur un continent à plusieurs titres considéré comme le marché de demain. A noter que c’était son deuxième voyage africain en moins d’un an. Annick Cizel, spécialiste des Etats-Unis a parlé sur RFI d’une « humilité » des Etats-Unis qui « accusent la Chine et la Russie de vouloir remodeler l’ordre mondial en leur faveur. […] Ils viennent demander le soutien des pays africains à un moment de crise internationale plurielle. [Ils] viennent s’assurer de partenariats qui seront gagnant-gagnant ».

« Bien que l’Afrique soit complexe, sa pertinence stratégique et économique pour les États-Unis est claire », confiait dans un entretien avec LTA Florie Liser, CEO du Corporate Council of Africa, à l’origine de l’US-Africa Business Summit organisé sur quatre jours en juillet à Marrakech, avec l’intervention virtuelle de la vice-présidente américaine Kamala Harris. De plus, la Chambre de commerce des États-Unis lance, le 6 septembre, un roadshow national visant à « accroître la compréhension des entreprises américaines des opportunités commerciales en Afrique, à transformer le récit autour du climat des affaires en Afrique et à dissiper les mythes ». Pour son vice-président Scott Eisner, « il est temps d’avancer avec l’Afrique et saisir les opportunités qu’offre ce continent vital », a-t-il écrit dans une tribune en marge de la visite africaine de Blinken.

 Un piège à double tranchant

Alors que les partenaires du continent tentent de jouer toutes leurs meilleures cartes, celle de la communication d’influence peut être à double tranchant, selon Papa Demba Thiam. « De mon point de vue, la communication d’influence des grandes puissances sur l’Afrique est vouée à l’échec, parce que ce type de communication insulte l’intelligence des Africains, selon la bien vieille méthode coloniale où on prenait les Africains par la taille, leur disant qu’on les aime, pour qu’ils donnent toutes leurs ressources. Aujourd’hui, les Africains sont beaucoup plus matures et à la limite je trouve qu’une telle communication peut être contre-productive, notamment parce que les oppositions africaines surfent là-dessus et cela renforce le sentiment anti-occidental ».

« En réalité, les puissances ne sont préoccupées pas par les intérêts des Africains. Ce qui leur importe, c’est de mener cette guerre d’influence, cette guerre économique en Afrique », estime l’économiste. « La vérité, poursuit-il, est que la troisième guerre mondiale est multipolaire, elle est économique et elle est en train de se passer en Afrique. Et je ne crois pas -en dehors de quelques dirigeants- que les Africains vont s’asseoir et regarder qui les aime le plus. Les Africains ne s’intéressent qu’à des choses concrètes. Tout le monde peut venir pourvu qu’il respecte les intérêts des Africains. La jeunesse et la société civile ont démontré qu’ils sont tous vent debout pour cela ».

La neutralité de la majorité des pays africains dans le conflit russo-ukrainien a raisonné, selon plusieurs analyses concordantes, comme la volonté du continent d’affirmer son autonomie, face à une opinion publique à la conscience éveillée. « Les États africains veulent avoir […] une lecture des relations internationales qui leur est propre et acceptée par les autres parties », déclarait au Point le politologue Serigne Bamba Gaye.

A la fin de la décennie, le continent a rendez-vous avec l’ONU pour dresser le bilan des ODD et il ne lui reste qu’une trentaine d’années pour atteindre les objectifs de développement de l’Union africaine (UA). Les contrats d’industrialisation ne pourraient-ils pas constituer, de manière concrète, une condition des Etats africains dans leur coopération économique avec les puissances mondiales, afin de peser davantage dans le concert des nations ?

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