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mardi, novembre 26, 2024
INTERNATIONALOPINION

Pourquoi l’allègement de la dette africaine n’est pas la solution

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Contrairement à ceux qui, comme Macky Sall et Emmanuel
Macron, prônent l’annulation de la dette des pays africains
pour faire face à la pandémie de coronavirus, le ministre
béninois de l’Économie et des Finances, Romuald Wadagni,
estime que d’autres approches doivent être privilégiées.
Le COVID19 inflige au monde entier l’une des plus graves crises
sanitaire et économique de son histoire. Cette crise vient complexifier
les difficultés déjà importantes des pays fragiles et du continent africain
en particulier. Elle surgit alors même que les budgets de plusieurs pays
subissent déjà de plein fouet les conséquences redoutables du défi
sécuritaire et du changement climatique.
Dans ce contexte de baisse importante et brutale des recettes budgétaires,
plusieurs dépenses restent néanmoins incompressibles comme
celles liées au fonctionnement de nos institutions, à la lutte contre de
nombreuses maladies endémiques, à la poursuite d’autres dépenses
sociales prioritaires et au respect de nos engagements financiers.
Face à cette crise, je voudrais reconnaître et saluer la forte et rapide
mobilisation internationale. Les récentes mesures en faveur des pays
pauvres et l’accord du 15 avril 2020 au sein du G20, l’illustrent bien.
Toutefois, je constate que les politiques et instruments mis en oeuvre
pour soutenir les économies des pays développés sont orientés vers
la mobilisation et la mise à disposition immédiate de nouveaux
financements visant à contenir les impacts économiques de la
crise, tandis que les mesures adoptées pour l’Afrique se résument
principalement soit à des annulations de dette, soit à des moratoires sur
le service de la dette publique bilatérale.
Plusieurs inconvénients
Ces solutions, malgré la marge budgétaire immédiate qu’elles offrent,
ne répondent pas aux enjeux cités plus haut et présentent d’importants
inconvénients à court et moyen termes. En effet, les dépenses des États
sont appelées à croître rapidement pour contrer la propagation de la
pandémie alors même qu’il faut continuer à faire face aux défis du
développement.
À ce constat, s’ajoute la chute importante des recettes qui vient
réduire davantage les marges budgétaires. L’allègement de la dette ou
un moratoire constitue dans ce contexte, un appel à l’indulgence des
créanciers et n’apporte pas de solutions structurelles aux difficultés des
États.
Par ailleurs, un allègement de la dette ou un moratoire pour le paiement
des échéances ternira davantage l’image des États et compromettra leur
accès aux financements futurs. Nos pays subiront un effet induit sur la
perception de leur qualité de crédit ; ce qui les exposerait à des sanctions
ultérieures inévitables de la part du marché. Un moratoire pourrait
même être considéré dans certaines documentations de prêt comme
un événement de défaut par les créanciers privés, qu’il soit voulu ou
subi et quand bien même il ne concernerait que les créanciers publics
bilatéraux.
Au-delà des agences de notation qui pourraient sanctionner le nonrespect
d’une échéance de prêt, tous les efforts fournis par nos pays pour
améliorer le climat des affaires et la perception de risque présentée dans
les classifications de l’OCDE notamment et utilisée pour définir le taux
d’emprunt de nombreux prêts, ne seront qu’anéantis.
LES ANNULATIONS DE DETTES OPÉRÉES DANS LA DÉCENNIE
PASSÉE N’ONT PAS MANQUÉ DE LAISSER DE MAUVAIS
SOUVENIRS
C’est le lieu de rappeler que les annulations de dettes opérées dans la
décennie passée à la suite de l’initiative PPTE, n’ont pas manqué de
laisser de mauvais souvenirs tant au niveau des créanciers privés que des
prêteurs bilatéraux publics dont certains ne sont d’ailleurs plus jamais
revenus financer nos États, si ce n’est par l’octroi de dons.
Or, au regard de la faiblesse de l’épargne intérieure et du secteur privé,
la dette, la bonne, aux meilleures conditions de coût et de durée, est
essentielle pour mettre nos économies sur un sentier de croissance
soutenue et durable.
Dans ce cadre, il me plaît d’approfondir les propositions suivantes
contenues dans la lettre adressée cette semaine, par le Président Patrice
Talon aux dirigeants du Fonds monétaire international et de la Banque
mondiale :
1- Aider à la mobilisation urgente de liquidité nouvelle en lieu et place
des annulations ou moratoires de dette.
Les besoins urgents exprimés par l’Afrique se chiffrent à 100 milliards
de dollars (dont 44 milliards pour le service de la dette). Une nouvelle
allocation en Droits de tirages spéciaux du FMI tant débattue devrait
être envisagée. Elle permettrait d’apporter une réponse rapide et
efficace aux besoins des pays les plus vulnérables tout en préservant la
soutenabilité de leur dette.
Cette solution n’est pas nouvelle et fut mise en oeuvre avec succès lors
de la précédente crise financière mondiale de 2008 où 250 milliards
de dollars furent débloqués rapidement. Par ailleurs les importantes
liquidités mises en oeuvre dans plusieurs grands espace économiques
ces derniers jours sont édifiantes.
2- Relancer les économies africaines via des financements
concessionnels.
Les institutions multilatérales et les banques de développement devraient
mettre à profit leur qualité de crédit pour mobiliser individuellement
des ressources concessionnelles ou semi- concessionnelles pour le
financement des économies africaines, à un moment où leur accès aux
financements à taux presque nul est intact, contrairement aux pays
africains.
L’ENDETTEMENT RESPONSABLE EST UN MEILLEUR CHOIX
QU’UN APPEL À L’INDULGENCE
Collectivement, elles pourraient mutualiser leurs qualités de crédit au
sein d’un nouveau véhicule ad hoc, dédié à un plan de reconstruction
d’une ampleur sans précédent pour nos pays. Le Mécanisme européen
de stabilité pourrait constituer une bonne source d’inspiration pour
créer un véhicule supranational ayant le statut de créancier privilégié
et réunissant les partenaires au développement. Ce mécanisme pourrait
proposer plusieurs types de programmes adaptés aux spécificités de
chaque pays, allant de la ligne de précaution pour les pays sujets à
des risques de refinancement à des lignes de financements de grands
programmes d’investissement pour les pays aux fondamentaux
macroéconomiques robustes.
Un exemple de programme pourrait consister à concentrer les efforts
des partenaires au développement pour un investissement massif
destiné à réduire significativement le gap en infrastructures de base.
Pour les pays à dette non soutenable, ce véhicule pourrait racheter de
la dette à décote et obtenir une réduction de l’endettement à faible coût
afin d’éviter une restructuration de dettes futures aux conséquences
économiques souvent désastreuses.
Pour finir, les appels à l’allègement de la dette ont un côté « déjà vu » avec
des résultats controversés. L’option d’un soutien à l’endettement adéquat
et responsable me semble un meilleur choix qu’un appel à l’indulgence.
Il est également impératif qu’il serve à répondre à des besoins concrets,
avec efficacité et efficience. Ceci appelle à la transparence dans sa
gestion.

Par Romuald WADAGNI, Ministre béninois de l’Économie et des Finances

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